Par Olivier Manitara ![]() Peut-on faire de chaque jour un acte sacré, une offrande emplie de sens et de dignité, une prière vivante ? Pouvons-nous emplir d’âme notre journée plutôt que de la vivre comme une succession de pensées, de gestes, d’actes dispersés sans véritable ligne directrice, sur lesquels nous avons peu d’emprise et de maîtrise ? Devenir un acteur conscient et éveillé de sa vie est l’acte de transformation le plus précieux et la plus grande source de bonheur. Quelles que soient nos habitudes, nos contraintes, notre réalité, nos croyances, nos valeurs, nous avons un pouvoir de création entre les mains beaucoup plus puissant que ce que nous croyons. Transformer le monde autour de soi à travers les plus petits gestes, c’est honorer ce don à l’intérieur de nous, ne plus attendre de l’extérieur un changement de réalité. Notre quotidien est habituellement bien rempli. Les occupations ne manquent pas. Notre journée se rythme de petites choses essentielles : prendre soin de nous-mêmes ou des autres, travailler, faire face aux événements, préparer les repas, vivre les rencontres, les moments plus calmes et plus intérieurs, les actes posés, les décisions à prendre… Du matin au soir un rythme s’instaure avec des repères, une part de prévu et d’imprévu… Par ailleurs, lorsque l’on marche sur un chemin d’éveil intérieur, on se réserve souvent des moments consacrés à soi, à la méditation, à la lecture, ou à l’accomplissement de rituels sacrés, d’une discipline gestuelle ou de postures, quelles qu’ils soient. Et il nous semble souvent que seuls ces moments en dehors de tous les actes du quotidien sont privilégiés, précieux. On en vient même à penser que le calme, la sérénité, la conscience et la capacité de transformer notre vie ne peuvent provenir que de ces moments là. Pourtant notre journée entière nous offre une multitude d’occasions de nous rapprocher de cet état intérieur de bien-être et de maîtrise de soi, de vivre d’une façon consciente l’acte sacré d’être en vie dans notre corps, afin d’accomplir une mission, une œuvre pleine d’âme et de sens. La magie ou le moment où « l’âme agit » La magie peut être continuellement présente, vivante, vivifiée, si l’âme agit à travers chaque acte du quotidien. Alors notre journée entière peut être consacrée à un haut idéal, peut devenir une offrande, une prière, une plénitude et une joie. Prendre sa vie en mains ne signifie pas uniquement : réserver une petite partie de soi pour sa vie spirituelle, un petit moment empli du divin de temps en temps. Il s’agit plutôt de faire de chaque jour, de notre réalité, de nos obligations, de nos engagements, un acte d’amour, une offrande à la sagesse, à la dignité, à la beauté. Ainsi, ces vertus nobles peuvent-elles être nourries, honorées, vivifiées. Emplir chaque moment de notre vie de sens et de grandeur au travers du plus petit geste du quotidien, c’est vivre réellement comme un être éveillé, conscient, c’est se tourner vers la noblesse. Une force peut alors naître et grandir en nous. Une transformation en profondeur de notre regard, de nos pensées, de nos actes, peut se mettre en place, jusqu’à ce que nous devenions réellement les acteurs conscients de notre propre réalité. Celle-ci peut alors prendre une autre dimension, s’emplir de sens, d’âme, de profondeur et engendrer une existence totalement nouvelle. Progressivement, nous apprenons à ne plus attendre de l’extérieur la plénitude de quelques moments de bonheur, mais nous nous appliquons plutôt à faire de chaque instant une prière, un ravissement – et cela même devant l’épreuve, devant la difficulté, devant la contrainte – car c’est la partie la plus noble de nous-mêmes qui peut se manifester, prendre le gouvernail de notre vie et créer notre nouvelle réalité. Cette Lumière à laquelle nous aspirons, qui nous semble bien souvent loin de nous et inaccessible, peut s’approcher de nous, émaner de nous et apporter le meilleur à notre entourage. Notre plus haute aspiration, notre idéal de vie peut ainsi se concrétiser. Exercices et pratiques quotidiennes Fais grandir ce qui est vrai et pur, et à travers tout cela, élève toi vers l’immensité avec ton âme. Michaël, 95 :38
Ensuite, lève-toi, assieds-toi sur le bord de ton lit en posant le pied droit sur le sol afin de t’unir consciemment au côté positif et créateur de la vie. L’expression populaire « se lever du pied gauche » est en réalité emplie de sens. Car le pied droit est le pied de l’acte conscient, créateur, qui te permet d’aller de l’avant. Éprouve alors un sentiment de reconnaissance envers le don de la vie et pour la capacité qui t’est offerte de participer aux trésors du monde. Prononce consciemment ta première parole de la journée. Qu’elle soit toujours un rappel du rayon de ton être véritable et une bénédiction pour tous les êtres : « Par le rayon de mon être véritable Je-Suis, je bénis la Terre et tous les êtres qui la peuplent. Que chacun reçoive la Lumière nécessaire pour s’épanouir vers l’être bon et vrai. »
Chaque matin, remercie. Remercie pour ton corps en parfaite santé, remercie la Mère pour son socle qui te porte, sa beauté, sa sagesse, pour son air précieux, son eau qui coule, remercie l’intelligence, la lumière et la sagesse du soleil qui fait tout pousser et donne vie à toutes les formes que tu vois, remercie l’univers pour sa grandeur et la chance que tu as de te tenir au cœur de ce grand mystère de la Vie. Remercie pour la lumière de l’intelligence qui s’approche de toi, que tu peux honorer et servir. Trouve ton rythme, tes mots, tes propres prières, ton moment, ton lieu sacré afin d’orienter ta journée dans la joie et la gratitude.
La terre Au lever, c’est Dieu la Mère qui t’éveille. Prends conscience du premier éveil du matin. Ton corps dormait et d’un seul coup, il s’éveille. Tu sens ton corps qui s’anime et tu perçois les mondes autour de lui dans le visible et le subtil. En réalité, tu étais dans ta patrie originelle et ton rayon-Je est de nouveau entré dans ton corps pour l’animer et le ressusciter. Éveille-toi au moment où tu t’éveilles. Sois présent et conscient. Cet éveil du matin est fondamental et il faut que tu y sois attentionné. C’est le premier éveil, celui de la terre. Il peut être la source d’une grande purification. Prends conscience. Tu entres dans le corps pour l’animer et accomplir une œuvre sur la terre. La terre n’est pas ta patrie ; le corps n’est pas ton être. Le corps est un instrument et la terre est un lieu de passage. Tu n’es pas terrestre : tu viens de la Lumière et du feu de l’esprit. Le feu de l’esprit est ton origine et la Lumière est ton âme immortelle, ta patrie. Ton âme céleste te parle. Pose ton pied droit sur le sol. Rappelle-toi que le pied droit est la polarité active de ton corps, le pôle masculin, alors que le pied gauche représente la partie passive, réceptive et féminine. Éprouve de la reconnaissance, de la gratitude pour le don de la vie. Pense intérieurement ou prononce une phrase de bénédiction, comme par exemple : « Par l'être véritable que Je Suis, j'offre mon bonjour lumineux à la Mère-Terre et à toutes les créatures qui la peuplent. Puisse cette journée être bénie et tous les êtres trouver le chemin du bonheur et de l'épanouissement » Tu peux changer la formule, trouver tes mots, mais il est important que tu salues Dieu la Terre et sa sagesse. L’eau Après le lever, tu prends contact avec l’eau. La puissance magique de l’eau produit un nouvel éveil. Elle enlève de toi une couche d’impureté et tu te sens immédiatement plus clair. Il faut que tu sois attentionné à ce phénomène afin d’en saisir le côté magique et profond. L’eau transparente est une parfaite image de la présence de ton être véritable. En te touchant, elle t’éveille. L’eau montre l’importance des mondes subtils qui t’entourent et qui entrent en toi à travers les désirs, les sentiments et les pensées. Prendre une douche L’Eau est une divinité et nous l’oublions bien souvent, elle vient de Dieu, elle est Dieu… L’eau est la vie, la source de toute vie. Vivre avec elle en conscience non seulement nous éveille, mais nous ennoblit et nous transforme. Le fil de la vie, le rayon du soleil qui vient animer l’homme peut être représenté par l’eau qui coule de la douche. La douche peut devenir un lieu de communion et de prière, à la fois pour se laver (se débarrasser de l’impureté, de ce qui n’est pas soi), mais aussi pour se relier avec Dieu dans le secret, dans l’intimité, dans ce qui est propre, à soi. Tu peux visualiser que tu fais couler l’eau à la fois sur ton corps, ta volonté, ton cœur et tes pensées. La douche doit être un moment de bonheur, de bien-être, de prière, de communion, de ressourcement, de mise au point. C’est un bonheur de rencontrer l’Être de l’Eau : L’Archange Gabriel, car il est celui qui prend soin de Dieu comme une Mère. L’eau est bonne. L’eau est l’être de Dieu qui apporte la conscience claire. Tu peux prendre une douche en prenant soin de ne pas allumer la lumière électrique, mais en préférant l’éclairage doux et naturel d’une chandelle. En prenant ta douche, de préférence avec des produits naturels, appelle l’Ange de l’Eau, demande lui de te purifier, de laver tes pensées, désirs, états d’âme, de nettoyer tous tes corps subtils autant que ton corps physique. Ainsi tu emplis d’âme l’acte de te laver, tu honores l’eau dans sa dimension sacrée, tu te places dans l’humilité devant l’intelligence supérieure de l’eau, dans le respect. L’âme de l’eau n’aime pas l’être qui se tient dans l’électricité. Ces énergies sont dissonantes. L’eau touchée par l’électricité peut devenir négative et destructrice pour tes corps subtils. Par cette pratique matinale, si tu y prêtes attention, tu ressentiras un grand bien être, une paix, un calme et un bonheur de prendre ta douche de cette façon, en conscience. En te plaçant dans ce respect et cette intention sage, tu attires à toi de belles influences, de belles forces pour ta journée, tu seras respecté par tous les êtres. En prenant ta douche, tu peux penser ou dire cette prière, ou encore formuler une prière semblable de gratitude envers l’eau : Ange de l’Eau Vivifie mon corps, purifie mes désirs, Fluidifie mes sentiments, clarifie ma pensée Anime ma destinée vers le grand but, Rends mon âme transparente et paisible Je t’en remercie ~~~ Que l’eau me nettoie de toutes les mauvaises pensées Que j’ai accumulées durant cette journée (ou : ces derniers jours) Que l’eau coule sur moi et me libère de ces impuretés. Lorsque tu te laves les cheveux, tu peux dire et penser : En même temps que mes cheveux sont nettoyés, Je demande que de nouvelles pensées Viennent habiter mon être Afin que je puisse vivre selon mes valeurs. Que les pensées qui me détournent de mon chemin S’éloignent de moi et que mes cheveux Se chargent des plus hautes pensées. Pour aller plus loin : Du lever au coucher, une journée parfaite Olivier Manitara – Ed. Essenia Article extrait du magazine Essentiel n°33
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![]() Comment être soi et s’accorder au monde ? Devenir plus aimant et vertueux ? Trouver le chemin de la libération intérieure ? Grandir dans la joie et trouver la sérénité ? Autant de questions auxquelles Frédéric Lenoir, lui-même en quête de sagesse depuis l’adolescence, répond avec sincérité et simplicité, nous conduisant à sa suite sur les traces de ses inspirateurs, tels Épicure, Epictète, le Bouddha, Tchouang-tseu, Montaigne, Spinoza ou Etty Hillesum, s’inspirant même de la sagesse des enfants. Frédéric Lenoir est philosophe et sociologue. Il préside l’association SEVE, qui forme des animateurs à la pratique d’ateliers philo avec les enfants, et l’association Ensemble pour les animaux. Il a publié de nombreux essais et romans traduits dans une vingtaine de langues. Ses récents ouvrages Petit Traité de vie intérieure ; L’Âme du monde ; Du bonheur, un voyage philosophique ; La Puissance de la joie ; Le Miracle Spinoza, ont été en tête des listes de best-sellers. Puisque nous allons dialoguer tout au long des pages suivantes, ami lecteur, j’aimerais tout d’abord que tu t’interroges sur ta préoccupation profonde. Le mot « sagesse », en effet, peut recouvrir deux sens assez différents. T’intéresses-tu à elle parce que tu recherches modération et prudence dans ta conduite ? Ou bien plutôt parce que tu souhaites réussir ta vie, c’est-à-dire mener une vie bonne, une vie selon le bien, et heureuse ? La sagesse, en son sens philosophique qui m’intéresse ici, c’est l’idéal d’une vie réussie. Est-ce bien ce à quoi tu aspires ? Non pas réussir dans la vie – avoir un métier en vue et gagner beaucoup d’argent –, mais réussir ta vie : mener une existence bonne et heureuse. Depuis toujours, des êtres humains se posent la question du sens de leur existence : sommes-nous sur terre seulement pour manger, dormir, nous reproduire, travailler, nous divertir ? Ou bien la vie humaine peut-elle avoir un autre sens ? Des hommes et des femmes, à travers des époques et des lieux très différents, ont tenté de répondre à cette question. Des réponses convergentes sont apparues, fruits de leur savoir et de leur expérience. Ce qui est le plus important lors de notre brève existence, disent-ils, c’est d’apprendre à vivre avec cœur et intelligence pour mener la vie la meilleure possible. Pour grandir en humanité. Pour être profondément heureux, et le plus utile aux autres. Pour vaincre les maux qui assombrissent notre âme et empoisonnent nos relations avec autrui. Et c’est cela qu’on appelle la « sagesse » : tendre vers cet idéal d’une vie noble, consciente, lucide, responsable, aimante, harmonieuse, juste, sereine, joyeuse, libre. – J’aspire en effet à cet idéal, mais n’est-il pas inaccessible ? – Il est très difficile à atteindre et c’est pourquoi je définis la sagesse comme un idéal vers lequel on tend, plus que comme un objectif à atteindre à tout prix. Vouloir grandir en sagesse, c’est déjà faire un choix fondamental qui peut changer notre vie : celui de hiérarchiser nos valeurs. Qu’est-ce qui est important et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quelles priorités donner à mon existence ? Est-ce que je veux avant tout posséder la richesse extérieure ou la richesse intérieure ? Est-ce que je préfère mourir entouré de beaucoup de biens matériels ou de plusieurs amis chers ? – L’un n’empêche pas forcément l’autre ! Ne peut-on être à la fois riche et sage ? Bien entendu. L’argent et la réussite sociale ne s’opposent pas nécessairement à la sagesse. Il y a des humains riches et puissants qui sont aussi bons et sages, et des humains pauvres et inconnus qui sont avides et méchants. L’empereur romain Marc Aurèle était un des hommes les plus riches et les plus puissants de son temps. C’était aussi un être humain épris de sagesse, qui cherchait à mener une vie juste. Mais il aurait été prêt à renoncer à toute sa richesse et à tous ses pouvoirs si ceux-ci avaient pu corrompre son âme, car la quête de la sagesse était son principal objectif. Et c’est la question que je te pose : qu’est-ce qui est le plus important pour toi ? Réussir ta vie et tendre vers une vie bonne et heureuse, quels que soient les efforts à consentir pour se rapprocher de cet idéal ? Ou bien est-il plus important de réussir dans ta vie, d’être riche et reconnu, même si, encore une fois, les deux ne sont pas nécessairement incompatibles ? Il y a aussi des êtres humains qui cherchent seulement à bien dormir, se nourrir, faire l’amour, se distraire, sans se poser d’autres questions, et qui ne se préoccupent pas plus de s’améliorer eux-mêmes que de contribuer à l’amélioration du monde. Comme le dit Maïmonide, le grand penseur juif du XIIe siècle : « Tout homme a la possibilité d’être un juste […] ou un méchant, un sage ou un sot […]. Il n’est personne qui le contraigne ou prédétermine sa conduite, personne qui l’entraîne dans la voie du bien ou du mal. C’est lui qui, de lui-même, et en pleine conscience, s’engage dans celle qu’il désire. » Même si je nuancerais, à la suite de Spinoza et de Freud, cette foi absolue dans le libre arbitre de l’être humain – tant nous sommes conditionnés par nos affects inconscients – il est certain que nous sommes sans cesse confrontés à des choix éthiques qui engagent notre vie dans des directions qui peuvent être diamétralement opposées. Or celui qui cherche la sagesse cherche à progresser, à grandir, à développer le potentiel d’intelligence, de créativité et de bonté qui est en lui. Il cherche aussi à s’engager pour améliorer le sort du monde dans lequel il vit. – Et toi ? Quelle a été ta priorité dans la vie ? Tu es relativement riche et connu grâce au succès de tes livres. Cela a-t-il été ta principale préoccupation ? – Il est important que je puisse répondre à cette question, car comment pourrais-je te parler de la sagesse si moi-même je ne suis pas engagé sur cette voie et n’en ai aucun goût, ni aucune expérience ! La sagesse, pour les philosophes de l’Antiquité, c’est à la fois un savoir théorique (sophia, en grec) et pratique (phronèsis). L’un ne va pas sans l’autre. Comme le dit mon ami André Comte-Sponville, un authentique amoureux de la sagesse : « Le sage pense sa vie et vit sa pensée. » Il s’agit donc toujours d’essayer d’incarner ses idées et ses convictions dans des actes. Cela ne signifie pas qu’il y aura toujours parfaite cohérence entre les deux, mais qu’il nous faut constamment y tendre. Pour répondre à ta question : depuis l’enfance je me suis interrogé sur le sens de la vie humaine. « Pourquoi sommes-nous sur terre ? » me demandais-je. J’ai commencé à trouver un début de réponse lorsque, vers l’âge de treize ou quatorze ans, mon père m’a mis Le Banquet de Platon entre les mains. J’ai alors dévoré tous les dialogues socratiques et j’ai compris ce que je voulais vraiment faire plus tard : apprendre à me connaître, à connaître le monde et à grandir en sagesse ! J’ai lu, adolescent, quantité d’ouvrages de philosophie, de psychologie et de spiritualité qui nourrissaient ma quête de sagesse. Après mon bac, je me suis inscrit en fac de philosophie, discipline dont l’étymologie même signifie « amour de la sagesse ». J’ai vécu plusieurs mois en Inde et j’ai appris à méditer auprès de lamas tibétains. Lors de cette quête spirituelle intense, j’ai également vécu une expérience mystique très forte avec le Christ, qui m’a amené, à l’âge de vingt ans, à rentrer dans un monastère, tout en poursuivant mes études de philo. J’en suis sorti après trois ans et trois mois, renonçant à faire des vœux définitifs, car même si j’aimais cette vie dépouillée et contemplative, je n’étais fait ni pour suivre les dogmes d’une Église quelle qu’elle soit, ni pour faire vœu de chasteté. J’ai alors repris ma quête ouverte de sagesse et je me suis particulièrement intéressé au bouddhisme, soutenant un doctorat sur la rencontre du bouddhisme et de l’Occident. Je n’ai dès lors jamais cessé d’étudier, de lire, de réfléchir aux grandes questions existentielles, qui sont celles de la sagesse, et de méditer. En même temps, je me suis aussi toujours efforcé de tendre vers une vie bonne et heureuse, en faisant un important travail sur moi : presque vingt ans de diverses thérapies ! Ce travail thérapeutique m’a permis de mieux me connaître et de me libérer de nombreux blocages, de peurs, de tristesses et de colères héritées d’une enfance affectivement douloureuse. J’ai ainsi appris – avec l’aide de la méditation également – à mieux accueillir et maîtriser mes émotions, à relier mon corps, mon cœur et mon esprit. Car cette harmonisation des différentes composantes de notre être me semble aussi être un aspect essentiel de la sagesse, sur lequel j’insisterai. Venons-en maintenant aux questions d’argent et de reconnaissance sociale que tu posais. L’argent n’a jamais été pour moi un objectif premier, même si je gagne aujourd’hui très bien ma vie grâce au succès de mes livres. Ce succès est arrivé lorsque j’avais quarante-deux ans et déjà publié une vingtaine de livres qui avaient connu une diffusion très limitée. Je n’étais pas du tout malheureux pour autant. Je n’ai jamais dévié de mes priorités, que j’aie bien ou mal gagné, que j’aie été reconnu ou non. Lorsque j’ai commencé à vendre beaucoup de livres, j’ai cédé à quelques désirs matériels, comme de rouler en voiture de sport décapotable ! Puis je m’en suis lassé, et j’ai revendu mon cabriolet pour reprendre ma vieille voiture, qui a aujourd’hui plus de vingt ans et trois cent cinquante mille kilomètres. La majeure partie de mes revenus est reversée aux impôts (donc à la société) et est redistribuée dans diverses associations et fondations, que j’ai parfois moi-même créées. Je vis très bien, mais sans excès. Quant à la reconnaissance sociale, mes nombreuses années de thérapie m’ont permis de comprendre que j’en avais eu besoin un temps pour prouver à mon père qu’il pouvait être fier de moi. Mais une fois que j’ai eu développé une véritable confiance en moi et réglé cette névrose, je me suis libéré du besoin de reconnaissance. La notoriété me permet de diffuser mes idées, et j’en suis heureux. Aujourd’hui, ma seule raison de vivre, c’est de continuer à grandir en humanité et d’être utile aux autres. – Tu es un sage, alors ? – Pas du tout ! La sagesse, encore une fois, est un idéal vers lequel je tends. Même si j’essaye le plus possible de mettre en cohérence mes valeurs, mes pensées et mes actes, il y a encore des domaines où il m’est difficile d’y parvenir ! Je n’arrive pas à corriger certains penchants de ma nature. L’essentiel, c’est de désirer la sagesse, de vouloir grandir, de se transformer, de s’améliorer. Mieux vaut cette quête, même inaboutie, plutôt que d’y renoncer, ou de se culpabiliser parce qu’elle constitue un idéal trop élevé. Par ailleurs, je suis de plus en plus profondément et globalement heureux, et peu de choses ébranlent ma joie et ma sérénité. Mais qui sait si demain je ne vais pas les perdre à cause du décès d’un proche ou d’une grave maladie ? – Tu veux dire que le plus important, c’est de se donner un cap, une direction, et d’essayer de les suivre, même si on n’est jamais certain d’y parvenir ? Exactement. Une de mes maximes préférées, que j’ai fait imprimer et encadrer, c’est une phrase de Montaigne, dans les Essais, inspirée de Sénèque : « Il n’y a point de vent favorable pour qui ne sait en quel port se rendre. » Ce qui signifie que, si on veut avancer dans la vie, il faut viser un port, un but, et se donner les moyens de l’atteindre plutôt que d’errer sans objectif. Nul n’a atteint un objectif élevé sans l’avoir ardemment désiré. Ce qui est vrai dans la vie artistique, sportive, professionnelle, familiale l’est tout autant pour l’idéal de la sagesse, c’est-à-dire d’une vie bonne et heureuse. Désirons être le plus profondément et durablement heureux, donnons-nous les moyens d’y parvenir, et les vents pourront nous être favorables. Désirons devenir des êtres humains plus intelligents, lucides, bons et responsables, et nous aurons toutes chances de devenir meilleurs. Alors que si nous ne désirons rien de tout cela, il est peu probable que nous grandissions en humanité. Il faut vouloir faire de sa vie une œuvre d’art pour que celle-ci nous aide à y parvenir. – Pourtant, j’ai déjà lu que « le sage est sans attente ». Et que dans la sagesse bouddhiste, par exemple, il faut éliminer tout désir. – Ce que le Bouddha suggère d’éliminer pour ne plus souffrir, c’est le désir-attachement, la soif (tanha, en sanskrit). Mais tout désir n’est pas mauvais en soi, bien au contraire. Les désirs de s’améliorer, de devenir meilleur ou d’atteindre l’Éveil sont des désirs spirituels des plus nécessaires et bénéfiques. Quant au fait que « le sage est sans attente », cela ne signifie en rien qu’il ne désire pas la sagesse. Cela signifie qu’il ne doit pas vivre dans l’espoir et l’attente qu’elle arrive. Il doit tout mettre en œuvre pour atteindre la sagesse, mais n’attendre ou n’espérer aucun résultat, sinon il passerait sa vie à être déçu ! S’il progresse sur cette voie, s’il est plus heureux et affermi dans sa vigilance, tant mieux. S’il a du mal à y parvenir et que les résultats de ses efforts ne sont pas toujours au rendez-vous, ce n’est pas grave. La quête de sagesse ne doit être ni une injonction ni une recherche de performance. Or nous vivons dans un monde fait d’injonctions, y compris dans le domaine de l’être – « tu dois être heureux et réussir ta vie » –, et qui voue un culte à la performance, à l’efficacité et à la rentabilité, ce qui est antinomique avec l’esprit de la sagesse. Lorsque l’on aspire à la sagesse, on n’aspire pas à devenir un héros spirituel, à être le plus sage ou le plus vertueux des hommes, mais à grandir autant qu’on le peut, en acceptant ses limites, ses vulnérabilités et ses fragilités. La quête de la sagesse est un chemin d’humilité et d’acceptation de ce qui est. La sagesse, une révolution de l’esprit Partout les hommes, quelle que soit la couleur de leur peau, se posent les mêmes questions, aspirent au bonheur, ressentent de la jalousie ou de la compassion, ont les mêmes préoccupations éthiques ou les mêmes dilemmes moraux, sont confrontés à la tristesse de perdre leurs proches. Et lorsqu’une société arrive à un certain degré de développement économique et culturel, lorsque les besoins fondamentaux de survie et de sécurité sont assurés, les mêmes préoccupations spirituelles émergent. Cela ne va pas sans poser des problèmes politiques et religieux majeurs, car ceux qui prônent la sagesse émancipent d’une certaine manière l’être humain du poids du groupe et de la tradition. – Tu veux dire que la sagesse libère l’individu de l’emprise sociale, qu’elle soit religieuse ou politique ? La sagesse aurait un caractère révolutionnaire ? – Absolument ! Dans la mesure où elle incite l’individu à se connaître et à connaître le monde, à développer son savoir et sa raison, à devenir libre et à s’accomplir selon sa nature propre, la sagesse est profondément subversive à l’égard des pouvoirs religieux et politiques, qui travaillent main dans la main afin de maintenir, parfois par la force, la cohésion et la stabilité du groupe social. Si l’individu commence à se préoccuper de son salut ou de son bonheur personnel, s’il développe sa raison et sa connaissance, il risque de ne plus adhérer aux normes collectives. Et si, en plus, il pense que l’amour est plus important que la loi et que tous les êtres humains sont égaux parce qu’ils aspirent tous à être heureux ou à être sauvés, alors c’est tout le système politico-religieux qui risque de s’effondrer. C’est pour cela que des grands initiateurs à la sagesse ont été persécutés, voire tués. Jésus (à la suite d’autres prophètes d’Israël) a été condamné à mort et le Bouddha a sans doute été empoisonné, car l’un et l’autre prônaient un message d’égalité de tous les êtres humains et de suprématie de la compassion sur la loi, ce qui était inacceptable pour les autorités religieuses et politiques. En enseignant que tout être humain, homme et femme, riche ou pauvre, peut atteindre l’Éveil par un travail spirituel personnel qui ne doit rien au rituel religieux, le Bouddha rendait caduc le système des castes sur lequel reposait (et repose encore en grande partie) toute la société indienne, et annulait la prétention des Brahmanes à pouvoir, seuls, atteindre la délivrance et effectuer les rituels religieux indispensables au maintien de l’ordre du monde. En affirmant que l’amour est plus important que la loi, en effectuant des guérisons le jour du Shabbat, ou en refusant qu’on lapide la femme adultère, Jésus transgressait la loi juive et prônait une sagesse universelle de l’amour qui rendait caduc le rôle des prêtres. Socrate a également été mis à mort car on l’accusait de corrompre la jeunesse et de menacer la religion de la cité. Comme, aujourd’hui, nous avons tendance à confondre religion et spiritualité, nous ne comprenons plus le caractère révolutionnaire de la quête spirituelle et de la sagesse. – Tu disais précédemment que l’étymologie du mot philosophie signifie « amour de la sagesse ». Or j’ai plutôt en tête que la philosophie actuelle est une discipline très rationnelle qui n’a pas grand-chose à voir avec la poursuite du bonheur et encore moins avec la spiritualité ! – C’est en effet le cas de la philosophie telle qu’elle est enseignée aujourd’hui à l’université ou au lycée. Pourtant, lorsqu’elle est née en Grèce vers le milieu du premier millénaire avant notre ère, la philosophie avait pour principal objectif la poursuite de la sagesse : philo (j’aime) sophia (la sagesse). Cette poursuite de la sagesse (donc de la vie heureuse) se fait à l’aide de la raison qui recherche la vérité, comme le rappelle Épicure : « La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse. » Le philosophe désire la sagesse, mais il ne veut pas s’illusionner, c’est pourquoi il utilise son intelligence afin de discerner ce qui est vrai, ou juste, de ce qui ne l’est pas. Le philosophe n’est donc ni un intellectuel, ni un professeur, ni un spécialiste, mais un aventurier de l’esprit qui cherche à mener une vie bonne et heureuse avec lucidité. Comme le résume André Comte-Sponville : « La sagesse, c’est le maximum de bonheur dans le maximum de lucidité. » La philosophie telle que la concevait les Anciens n’a pas pour objectif de former des spécialistes, mais de former des hommes. Aujourd’hui, on confond « philosophe » avec « historien de la philosophie » ou des idées. Même si la connaissance des idées de ceux qui nous ont précédés est très précieuse, on peut philosopher sans les connaître, lorsqu’on s’étonne, lorsqu’on questionne, lorsqu’on raisonne, et lorsqu’on cherche à vivre la meilleure vie possible. Les enfants en sont capables. C’est ainsi que la philosophie antique s’est développée pendant près d’un millénaire autour de grands courants très divers, mais qui avaient tous pour principal objectif la poursuite de la sagesse : le platonisme, l’aristotélisme, l’épicurisme, le stoïcisme, le cynisme, le scepticisme, le néoplatonisme. Même si ces écoles étudient toutes sortes de disciplines – la logique, la rhétorique, les mathématiques, la physique, la cosmogonie –, le but ultime de leur enseignement reste le bonheur et la formation de l’être humain, afin que celui-ci grandisse en humanité autant qu’il le peut. La conception atomiste des épicuriens ou la cosmologie des stoïciens, par exemple, est essentielle à leur vision éthique de l’existence. L’épicurien n’a pas peur de la mort, parce qu’il pense que tout est composé d’atomes et que, son âme disparaissant avec son corps, il n’a rien à redouter des dieux ou d’un destin post mortem. Le stoïcien, inversement, fonde son action sur sa conviction de posséder un logos (raison) individuel immortel, partie du Logos universel divin. Quels que soient les désaccords théoriques entre les écoles philosophiques de l’Antiquité, toutes proposent une philosophie pratique, existentielle, un art et une manière de vivre. Comme l’a fort bien rappelé Pierre Hadot, le grand historien de la philosophie antique : « L’acte philosophique ne se situe pas seulement dans l’ordre de la connaissance, mais dans l’ordre du “soi” et de l’être : c’est un progrès qui nous fait plus être, qui nous rend meilleur. C’est une conversion qui bouleverse toute la vie, qui change l’être de celui qui l’accomplit. Elle le fait passer d’un état de vie inauthentique, obscurci par l’inconscience, rongé par le souci, à un état de vie authentique, dans lequel l’homme atteint la conscience de soi, la vision exacte du monde, la paix et la liberté intérieures. » Le bonheur est en toi Comme je le disais au début de notre échange, j’aspire à être plus profondément et plus durablement heureux. Tu m’as répondu que c’était l’objectif de la sagesse. Est-ce vraiment possible et comment y parvenir ? – La question du bonheur est en effet au cœur de tous les grands courants de sagesse de l’humanité. Comme le rappelait Épicure, nous aspirons tous au bonheur, quel que soit le visage qu’il prend. Mais nous faisons également l’expérience qu’il est aussi insaisissable que l’eau ou le vent. Dès qu’on pense s’en être emparé, il nous échappe. Si on tente de le retenir, il s’enfuit. Il se dérobe parfois là où on l’espère, et surgit à l’improviste au moment le plus inattendu. Pourtant, j’en ai fait l’expérience, on peut réellement être plus heureux en réfléchissant sur sa vie, en effectuant un travail sur soi, en apprenant à faire les choix les plus judicieux, ou bien encore en modifiant ses pensées, ses croyances ou les représentations que nous construisons de nous-mêmes et du monde. Le grand paradoxe du bonheur, c’est qu’il est aussi indomptable qu’apprivoisable. Il relève tout autant du destin ou de la chance que d’une démarche rationnelle et volontaire. Pour les Anciens, que ce soit en Inde, en Chine ou en Grèce, la sagesse s’apparente à la recherche d’un état de satisfaction global et durable de l’existence qui ne dépend pas des aléas de la vie et donc des événements du monde extérieur. Elle s’identifie donc à l’idée du bonheur, conçu comme un état intérieur. C’est souvent en partant de l’ambivalence de l’expérience du plaisir que les philosophes antiques ont construit cette notion de bonheur : le plaisir est la satisfaction d’un besoin ou d’un désir, mais il ne dure pas et dépend de causes extérieures. Le sage, lui, aspire à créer un état de satisfaction qui dure et qui ne dépende plus uniquement des causes extérieures (les honneurs, les relations, la richesse, etc.). Pour Épicure, par exemple, cet idéal peut être atteint grâce à la raison pratique (phronesis) qui nous aide à modérer et à discerner les plaisirs afin de rester dans un état de sérénité, d’absence de trouble (ataraxie). Pour le Bouddha, il s’agit de renoncer au désir-attachement qui engendre la frustration et la souffrance et, de manière ultime, d’atteindre un état de félicité à travers l’Éveil, c’est-à-dire la prise de conscience que je ne suis pas l’ego auquel je m’identifie spontanément. On pourrait définir l’idéal de la sagesse de la manière suivante : plutôt que de chercher à adapter le monde à ses désirs, le sage transforme ses désirs pour les adapter au monde, autrement dit au réel. Il apprend à aimer la vie de manière inconditionnelle et non pas seulement quand tout lui est favorable. C’est cet idéal de sagesse, auquel la plupart des intellectuels modernes ne croient plus, que j’ai voulu réhabiliter, parce que cette quête est la mienne depuis bientôt quarante ans. – On est évidemment très loin des conceptions contemporaines du bonheur, davantage tournées vers l’avoir que vers l’être. Il y a un grand malentendu à dissiper lorsqu’on parle de bonheur... – L’idéal de la sagesse et la conception du bonheur qu’elle véhicule sont en effet aux antipodes de la vision du bonheur contemporaine la plus répandue dans nos sociétés matérialistes et consuméristes : être le meilleur, le plus compétitif, riche, reconnu, etc. À cette injonction contemporaine du « toujours plus », la sagesse oppose la quête du « mieux être ». Le bonheur est davantage à rechercher dans l’ordre de l’être que dans l’ordre de l’avoir. J’ajouterais que la quête de sagesse est une quête exigeante. Elle requiert l’apprentissage d’un savoir, l’approfondissement d’une réflexion, le bon usage de la raison et la mobilisation de la volonté, une juste réorientation du regard et des désirs, etc. Bref, c’est une quête longue et ardue, aux antipodes des recettes faciles et rapides vendues par les charlatans contemporains du bonheur. Je préciserais aussi que je suis assez exaspéré par l’injonction au bonheur, mot d’ordre contemporain parfaitement dénoncé par Pascal Bruckner. L’auteur de L’Euphorie perpétuelle remarque en effet avec finesse que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le « droit » au bonheur s’est mué en « devoir », et, du coup, en fardeau. L’homme moderne est « condamné » à être heureux et « ne peut s’en prendre qu’à lui-même s’il n’y parvient pas. [...] Nous constituons probablement les premières sociétés dans l’histoire à rendre les gens malheureux de ne pas être heureux. [...] À la dramatisation chrétienne de la salvation et de la perdition, fait pendant la dramatisation laïque de la réussite et de l’insuccès. » Il est bien entendu qu’une telle injonction au bonheur – et, qui plus est, un bonheur associé aux critères modernes de performance – ne peut rendre que malheureux. C’est sans doute une des explications du nombre croissant de personnes qui deviennent dépressives parce qu’elles ne parviennent pas à répondre à l’injonction moderne d’accomplissement de soi. Pour en savoir plus : La sagesse expliquée à ceux qui la cherchent – Frédéric Lenoir – Ed. Seuil Article extrait du magazine Essentiel n° 41 Par Pierre Laurent ![]() Intermédiaire entre l’humain et l’invisible, le chamane prend soin de son clan et de la Terre. Depuis la nuit des temps, il explore et utilise les phénomènes psychiques tels que la télépathie et la clairvoyance pour la guérison et entretient naturellement une relation lucide avec les mondes invisibles. En 2016, dans un lieu tenu secret, près de cent chamanes se sont réunis quatre jours et trois nuits autour d’un grand feu sacré pour célébrer leurs rites, raconter leurs parcours initiatiques et transmettre la mémoire de leurs ancêtres. Vous découvrirez dans cet article un petit aperçu de cette rencontre exceptionnelle entre chamanes contemporains, porteurs des sagesses ancestrales d’Asie, des Amériques, d’Afrique et du monde celte. Avant toute chose, intéressons-nous à l’étymologie du mot chamane. L’autobiographie d’Avvakoum Petrovic semble en avoir fait la première écriture en 1672. En langue toungouse – un groupe ethnolinguistique du nord de la Sibérie –, le chamane ou šaman (« danser, bondir, remuer ») désigne le moine qui possède la connaissance. Aujourd’hui, les ethnologues et les anthropologues propagent le terme de chamane, bien que de nombreuses communautés emploient leur mot à eux : ham (prononcer kam) à Touva, boo pour le chamane masculin et udgan pour la femme mongole, respectivement paksu et mudang en Corée, pajé aux Caraïbes et dans le bassin amazonien, piaye en Guyane, arendiouannens chez les Hurons, angakkut chez les Inuits, etc. En quelques décennies, la fonction du chamane sort des clans, devient sujet d’œuvres littéraires, d’opéras, de pensées philosophiques. Pour la lisibilité du texte, le terme générique de chamane est employé dans ce témoignage. Paranormal et surnaturel Les peuples premiers ont exploré et utilisé des manifestations psychiques telles que la télépathie, la clairvoyance, la guérison psychique, la précognition. Pour eux, ces phénomènes sont normaux, s’inscrivent dans la vie de tous les jours. Car l’Univers, sans réalité propre, ne produit que des phénomènes naturels et normaux, que nous percevons en fonction de nos aptitudes. Ces manifestations sont qualifiées d’occultes au XIIe siècle, de surnaturelles au XVIIe et de paranormales au XXe siècle. Les phénomènes paranormaux sont couramment étudiés par des scientifiques renommés à la fin du XIXe siècle. C’est la parapsychologie, l’étude pluridisciplinaire rationnelle de faits reliant l’environnement au psychisme, faits inexplicables selon les connaissances du moment. Ces recherches donnent lieu à des débats et des publications dans des journaux en vue qui évoquent des perceptions extrasensorielles ou des fonctions psi. Au XXe siècle, des hommes qui ne professent que leur opinion et leurs croyances propres ont qualifié ces recherches de pseudosciences et les ont rejetées de la science. Qui sont-ils pour rejeter le scénario bien rodé de rites pratiqués durant des millénaires ? Qui sont-ils pour oublier que le but de la science est de découvrir ce qui se cache derrière les faits ? D’où vient ce chaos dans leur tête qui admet les effets thérapeutiques d’un médicament placebo, mais refuse le pouvoir de la pensée en général ? La réalité psi existe, avec ou sans argument scientifique. Du reste, ceux qui en font l’expérience se transforment davantage qu’ils se seraient transformés en lisant un texte scientifique argumenté. Bienvenue dans la vraie vie, dans des dimensions inimaginables qui révèlent nos pouvoirs véritables, loin des frontières imposées par nos cinq sens physiques. Commencement Dans la mémoire collective, le chamane pourrait bien être une sorte de magicien à moitié nu, barbouillé de peintures, bardé de plumes, hypothétiquement doué pour jeter des sorts. En réalité, il est assez éloigné de cette appréciation excentrique ! Pour autant, évidemment, que l’on accepte qu’un Mexicain, qu’un Népalais ou qu’un Mongol vivant dans sa tradition ancestrale n’ait guère de raison de ressembler au quidam européen moyen. Les peuples en marge de la civilisation reconnaissent l’arrivée de l’enfant chamane par diverses dispositions, un événement particulier ou une marque physique. Un initié peut déceler les signes des qualités chamaniques inscrites dans le destin d’un enfant en bas âge. Il arrive qu’un jeune, intéressé par les cérémonies et les rites, qui les regarde et les écoute attentivement, révèle ses prédispositions. Les hommes ou femmes au destin de chamane ne naissent toutefois pas tous dans des tribus du bout du monde. Les méandres de la vie relient parfois l’Occidental et le chamane lointain prêt à transmettre. Le chemin chamanique Le chamane est intronisé s’il se voue à son destin d’homme choisi par les esprits et s’il revient victorieux d’initiations strictes. De temps en temps, l’élu – si l’on peut dire – refuse la fonction. Il se peut qu’il paie cette impudence envers les esprits par une série d’accidents ou de maladies, jusqu’au jour de l’acceptation. Viennent les initiations de l’instructeur. Déroutantes, tantôt légères, tantôt exténuantes, voire dangereuses chez certaines peuplades, elles contraignent le prétendant à désapprendre le recours au mental et à s’adapter au milieu. Tout est fait pour qu’il déserte croyances et certitudes, qu’il renonce à ses habitudes de perception et à ses préférences. Ainsi s’extrait-il de sa gangue animale ! Le prétendant ratisse ses ressources cachées lors de longues solitudes. Lors de jeûnes forcés. Lors de longues périodes, parfois plus d’un an, passées dans l’obscurité. Il subit des souffrances symboliques, mais pas seulement. Quoi de plus adapté que le péril pour abolir l’intellect et le jugement ? Le péril ouvre de force la porte de l’observation. Observation du milieu. Observation de ses blessures. Observation de ses peurs. Dans les sociétés archaïques où l’autosuffisance est aléatoire, chaque pensée, chaque intuition peut un jour devenir fondamentale. Voilà pourquoi elles sont cultivées. Dans la nature spacieuse, le prétendant approfondit ses connaissances pratiques sur le milieu, sur les plantes, les animaux, sur la géographie sacrée du monde visible et du monde invisible. Il goûte, mange et se relie au plus de plantes possible, pour apprendre la médecine végétale rapide et efficace. Seul durant des mois, parfois des années, il apprend à s’en remettre à son instinct, développe ses sens à l’extrême. L’odeur la plus faible, le souffle infime du vent, le bruissement ténu deviennent chargés de sens. Dans des célébrations intenses, l’aspirant noue des contacts avec les ancêtres, avec la création animale, végétale et minérale lors de voyages chamaniques, de quêtes de vision, de transes. Il perçoit l’ordre et le désordre d’une réalité cachée au commun des mortels. Il épanouit ses capacités intuitives, entre en meilleure connexion avec son milieu. Il devient « sensible », diagnostiqueur. Mais cela ne suffit pas. Il lui faut encore acquérir des pouvoirs s’il espère rétablir l’ordre dans la nature ou dans le corps des membres de son clan. Pour lui, un animal n’est pas qu’un animal. Il possède des pouvoirs. Le prétendant, en tissant des liens invisibles avec l’animal, capte diverses de ses ressources et les utilise à son profit, en lui offrant systématiquement quelque chose en retour. Cette règle est immuable : demander et donner. C’est l’échange égalitaire. Si l’homme est intègre, ces animaux deviendront ses alliés et ses gardiens invisibles. Il en est de même avec le règne végétal et le règne minéral. Ce n’est pas tout. Il lui appartient de remporter les faveurs des esprits des ancêtres. Dans la dualité matière-esprit, le second l’emporte largement chez les peuples premiers. Sa maîtrise, son pouvoir sur le milieu, sur l’humain, se dessine à chaque obstacle vaincu. Détruire le corps profane Jour après jour, étape par étape, le prétendant se guérit, gagne en force et en paix avec lui-même. Enfin, enfin ! L’étincelle divine jaillit ! Les initiations ont détruit son corps profane et lui ont offert un corps sacré. Il a les meilleures prédispositions pour débuter dans la discipline chamanique. À la fois herboriste, botaniste, animalier, masseur, rebouteux, radiesthésiste, spirite, guérisseur, magicien, exorciste, le sage qu’il est – qui apprendra encore sa vie durant – exercera après le décès de son mentor si le clan n’autorise qu’un seul chamane. En poste, ce gardien, cette gardienne des sagesses trace l’histoire de son clan, progresse et grandit en même temps. Plus il s’enrichit d’expériences, plus son comportement doit s’accorder avec ce qu’il représente. Que représente-t-il, justement ? Le gardien de sagesse éprouve souvent des difficultés à donner une définition de ce qu’il est. Son mental n’est pas le nôtre, qui cherche à poser des mots et à expliquer. Il agit, il équilibre, c’est suffisant. Le chamane, humain parmi les humains, se sait imparfait. Malgré tout, il veille chaque jour à rester authentique. Ses qualités, ses faiblesses nourrissent les espoirs de sa tribu. Il se surveille en permanence : l’ego spirituel peut l’inciter à quitter la magie blanche de son art opératoire pour exercer en magie noire contre les membres de son clan, pour séduire, pour ses intérêts propres… Il a une énorme force morale. Tout son être, toute sa concentration sont engagés dans ce rôle, parce qu’il veut faire honneur à celui qui l’a initié et aux ancêtres. S’il échoue à protéger sa tribu, à maintenir l’équilibre des forces visibles et invisibles, il risque le bannissement. Il risque même… la mort ! Guider autrui vers sa propre souveraineté Simple, humble, sans structure ni ordre hiérarchisé, le porteur de sagesse a pour règle absolue de guider autrui vers sa pleine et propre souveraineté, vers sa pleine et propre excellence, vers ses pleins pouvoirs. Centrée sur la spiritualité, l’activité du chamane tient aussi de l’organisation sociale. Il évite les dépréciations des individus, des communautés et de leur milieu. Le tradithérapeute anticipe et conjure le mal. Loin de l’approche occidentale scientifiquement sophistiquée qui consiste à répondre aux symptômes, lui s’intéresse aux causes profondes qui créent le symptôme chez son patient. Après l’avoir écouté décrire ses besoins spécifiques de santé, il consulte ses propres guides pour obtenir le diagnostic spirituel du mal-être ou de la maladie et connaître la méthode qui guérit. Il s’efforce de faire prendre conscience des causes du mal à son patient afin qu’il retrouve une totale autonomie. Cela dit, des anthropologues ont rapporté qu’un certain nombre de tribus aborigènes vivant en parfaite intégration avec leur milieu ne connaissent pour ainsi dire pas la maladie et les accidents y semblent exceptionnels. Cela rejoint l’observation de nombre de praticiens en médecine douce qui estiment que les troubles de la santé sont la conséquence d’un mode de vie inadapté. Les facteurs liés à l’environnement, à l’alimentation, aux excès ou aux pensées destructrices sont souvent cités. S’il sent sa médecine inefficace, il arrive que le chamane d’aujourd’hui propose de faire acheminer le malade vers la médecine occidentale. Loin de toute structure ancestrale : le néochamanisme À l’aube du nouveau millénaire, l’engouement pour les thérapies naturelles leur fait prendre une place de plus en plus grande dans les salons d’expositions, dans des revues et sur Internet. Pour le client, comment différencier la thérapie du bien-être dans cette armada ? En Suisse, où les thérapies naturelles et l’utilisation du terme thérapeute sont libres, le système laisse croire que n’importe qui devrait envisager de devenir thérapeute. En cherchant un peu, il est facile de s’inscrire à des cours où l’on a le sentiment de maîtriser une technique efficace en un rien de temps. Mais de théoricien à thérapeute, le chemin est parfois long, et nombre de ces praticiens mal formés finissent par devenir plus mal en point que leurs clients ! Dans la foulée, le terme chamane attire le chaland comme un aimant et fait vendre. Le nombre de cours et de formations présentés comme chamaniques enfle. Généralement pratiqué de manière éphémère, ce néochamanisme sert souvent des intérêts intellectuels et des accompagnements thérapeutiques dont l’efficacité n’est pas toujours démontrée. Après quelques week-ends de pratique occasionnelle, M. et Mme Tout-le-Monde se sentent à même d’être guérisseurs. Résultat : ces néo-chamanes, loin de toute structure historique et des gestes chamaniques authentiques, à peine sortis de l’usine ou du bureau, le soir, le week-end, reçoivent leur clientèle dans une pièce improvisée d’un appartement, sans la moindre sécurisation externe et avec un bagage pédagogique parfois précaire. Certes, le néochamanisme correspond à des besoins, comme les voies spirituelles du Nouvel Âge. Pour autant, il serait judicieux que le public ne soit pas dupe de ces pratiques développées hors de toute structure intègre où chacun met en avant ses propres concepts, sa propre réalité. Au gré des envies de chefs spirituels autoproclamés, ces méthodes pulsionnelles se transforment, disparaissent, laissant leurs adeptes dans des champs de ruines, à la merci de la première croyance de remplacement venue. En soi, c’est une bonne chose que les malades s’intéressent aux méthodes de soins traditionnels. Souhaitons-leur quand même de se montrer vigilants quant aux compétences du praticien qu’ils consultent. Souhaitons-leur également d’avoir la volonté de s’investir s’ils espèrent guérir et se maintenir en santé. Le néochamanisme sert aussi la pensée écologique. S’il pouvait au moins modifier les comportements énergivores et polluants, durablement et en profondeur, ce serait déjà ça. Le grand évènement de 2016 Pour la première fois, le Cercle organisait une manifestation en un lieu tenu secret et fermé au public ! Quatre jours et trois nuits durant, plus de cent chamanes et guérisseurs du monde entier ont associé la puissance de leurs rituels dans une ferveur collective destinée à soigner notre maison commune, notre Mère terre. D’autres acteurs ont offert leurs savoirs et leur professionnalisme pour accompagner l’événement sous forme de données scientifiques, d’articles, de films ou de photographies. Ni les bénévoles affairés à la mise en place du site, ni les assistants, ni les traducteurs, ni les organisateurs n’ont perçu de rémunération. Quant aux invités observateurs – filmeurs, photographes, auteurs, etc.–, ils ont payé leurs repas et l’hébergement. Ces derniers étaient là pour témoigner. Certains porteurs des traditions orales étaient réticents à cette idée. D’autres estimaient que des médias loyaux contribuaient à apaiser les critiques, à nourrir le dialogue et la compréhension mutuelle afin de faire reconnaître que les chamanes ont des solutions à divers maux actuels. C’était la raison de ma présence en ce lieu. La rencontre débute Premier temps fort de cette rencontre exceptionnelle, la cérémonie d’ouverture avec l’allumage du feu sacré. Sur le terrain, un cône de bois s’élève au centre de la salamandre de terre fraîchement réalisée. Le gardien du feu officie. Il répond au nom de Glonçia. Son nom initiatique de déo celte signifie « celui qui est béni des esprits ». C’est vers ce feu que se dirigeront nombre d’intentions des officiants et des participants. Sa préparation a respecté l’architecture traditionnelle en usage. Les délégations d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et d’Europe, prennent place. Hommes et femmes ont revêtu de magnifiques tenues traditionnelles et arborent leurs objets rituels. Quelques-uns portent une peau d’animal. Des masques cachent des visages. Des tambours, grands ou petits, ronds, octogonaux, hexagonaux ou triangulaires se jouxtent. Souvent vu comme un peuple à part entière, le feu constitue un élément important dans la tradition chamanique. Sa capacité à consumer, à réduire en cendres, à purifier, offre une perspective de vie nouvelle. Il inspire à la fois crainte et respect. C’est au Chef coutumier du Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales qu’il revient d’ouvrir la célébration. Patrick entame d’une voix puissante : « Porteurs de parole de la lignée de Soof Ta, faites savoir à nos frères et sœurs invités, délégations et représentants du monde, qu’ils sont les bienvenus dans notre cercle sacré. Faites savoir, porteurs de parole, que nous les accueillons avec le feu de notre cœur. Qu’ils viennent partager l’allumage de ce feu sacré, lien entre la Terre et le Ciel. Que cela soit dit. Awen ! » Le mot awen est utilisé dans la tradition celte pour marquer la connexion avec le divin, pour souligner des paroles fortes et justes. L’appel est souvent fait à voix haute par trois fois, auquel le groupe répond en écho. Un chamane fait résonner le son puissant de sa conque. Des amulettes et divers objets rituels laissent entendre leurs cliquetis, tandis que des gardiens de sagesse entament quelques mouvements qui préfigurent la danse qui ralliera toutes les forces. L’envie de commencer presse ! L’allumage du feu sacré Patrick : « Nous allons allumer notre feu sacré sur notre terre, nous, humbles gardiens de cette Terre mère, de notre terre celte. Nous vous invitons en toute fraternité à allumer le grand feu central. Nous allons porter un bâton de feu à chaque représentant de délégation, afin qu’il puisse allumer le feu selon ses us et coutumes. » Glonçia enchaîne : « J’invoque les esprits de l’énergie de l’Est. J’invoque l’élément eau, l’énergie de la naissance et de la renaissance. Puisse-t-elle nous accompagner durant ces quatre jours et ces trois nuits pour œuvrer ensemble pour la Terre. J’invoque, en les honorant, les esprits du Sud, la couleur flamboyante, l’esprit d’action, de force. Puissent-ils nous accompagner durant ces quatre jours et ces trois nuits de cérémonies pour porter assistance à la Terre. J’invoque les esprits et les énergies de l’Ouest, la sagesse ancestrale et la Terre. Puissent-ils nous accompagner en toute sagesse durant ces quatre jours et ces trois nuits, lors de nos cérémonies. J’invoque les esprits du Nord, peuple de l’air et des ancêtres. Puissent-ils nous accompagner durant ces quatre jours et ces trois nuits de cérémonies pour nous apporter la parole juste et la pensée adéquate qui servira notre Terre mère. Que chaque représentant de délégation vienne chercher une torche pour allumer le feu sacré. » Chaque gardien tient une torche. Quelques-uns s’agitent. Des sons, des cris s’élèvent. Puis j’assiste à un déferlement de sons. Qui martèle son tambour. Qui psalmodie des sonorités rudimentaires. Chacun accomplit son rite à la fois dans son individualité et à la fois dans cette œuvre collective improvisée. Aux discrets sons du Népal succèdent des rythmes africains vifs et mouvementés. Ce genre de rythmes qui se transmettent au pied, puis au corps entier. Chants individuels, chants de groupes, les résonances s’entremêlent, prennent leur espace quelques instants, puis laissent leur liberté à d’autres. Après quelques minutes sonores, le calme revient. De toutes parts, les torches enflammées sont introduites au cœur de l’empilement de bois dans des cris d’allégresse. C’est parti ! Jamais peut-être sur cette planète, un feu sacré n’aura été embrasé par un tel nombre de traditions. Au même moment, ailleurs sur le globe, d’autres représentants de délégations présentes et de délégations empêchées d’accomplir le voyage démarrent leurs propres célébrations en se joignant en conscience. La tradition tezkatlipoka L’occasion m’est donnée d’entendre deux représentants de la tradition tezkatlipoka – littéralement miroir noir fumant – qui sont Tetzkatekuhtli Kwauhtlinxan et Kexolli Kwauhtlinxan, deux cousins habillés de noir comme la nuit. Leur peuple est devenu invisible depuis la colonisation espagnole de l’Amérique commencée par Christophe Colomb et Hernán Cortés. Presque nul ne les a vus avant 1990. Leur tradition s’efforce de faire se déplacer quatre énergies d’une manière favorable en vue d’atteindre l’équilibre suprême : le nawi ollin teotl. L’observation, l’expérimentation et la pratique de ce qui est perçu servent à obtenir l’harmonie dans l’Univers d’où l’homme vient. Et le respect crée la liaison totale. Les êtres humains comptent quatre niveaux fondamentaux, explique Tetzkatekuhtli. Le corps physique (nakatl), l’esprit (matik), l’émotionnel (pampa) et l’énergie (tonalli). Équilibrés, ils permettent la meilleure manifestation de l’âme (newatl). Quatre fondamentaux fixent les aspects de la vie : indispensable, nécessaire, souhaitable et excellent. Mélangés, ils donnent le centre de la nawi ollin : fait. Par exemple, la respiration est indispensable. Le repos est nécessaire. La force qui génère les événements est souhaitable. La transformation volontaire de la conscience est l’excellence. Tetzkatekuhtli Kwauhtlinxan signifie « l’homme du miroir du nid des aigles ». Il commente : « Avec la permission de la Mère terre, du Père soleil, des éléments, de l’air, de l’eau, des gardiens de cette Terre et de tous nos ancêtres, nous les gens de la tradition tezkatlipoka continuons nos coutumes vieilles de plus de 40 000 ans. Nous sommes passés à travers le peuple toltèque. Nous sommes partis du peuple toltèque. Et nous sommes passés à travers le peuple olmèque. Nous faisons partie du peuple olmèque. Nous avons traversé le peuple de Teotihuacan. Nous faisons partie du peuple de Teotihuacan. Maintenant, nous faisons partie du peuple Mexhika. La tradition des Tezkatlipoka est l’une des quatre grandes lignes de connaissance qui existait dans notre antiquité. Quetzalcóatl est la lumière. Tezkatlipoka est sa contrepartie, l’obscurité. Parce qu’il n’y a pas de jour s’il n’y a pas de nuit. C’est notre travail de progresser dans la connaissance de notre part obscure, d’être conscients de nous-mêmes. Notre travail est sur l’intérieur. Et nous avons à travailler cette part intérieure pour rassembler le tissage de la natte que nous sommes. Ensemble, nous tissons tous cette natte avec nos cœurs, avec nos présences, avec nos ancêtres. Nous sommes des guerriers braves et forts qui mettons la paix par notre seule présence. Science, spiritualité et éthique Les scientifiques qui servent notre médecine moderne acceptent presque unanimement la souffrance animale, notamment celle qui découle d’expériences souvent insoutenables en laboratoire. Comment légitimer cette cruauté envers des animaux autrement que par une grande violence intérieure ? D’où vient cette violence ? Avant tout, de l’insensibilité à soi-même. Cette insensibilité se propage à l’autre, et finalement au monde. Comment espérer qu’un quidam incapable de s’aimer dispose d’un niveau de conscience assez élevé pour saisir la portée du psychisme humain ? Certes, des traitements de cette médecine moderne sont utiles et aident à surmonter une impasse ou une période tourmentée. Reconnaissons que, dans le territoire de la psyché, nous autres Occidentaux avons discrédité notre héritage ancestral. Nous en payons maintenant le prix par des vies brisées. Pire, le désir de domination des industriels voudrait anéantir tous les systèmes thérapeutiques ancestraux et les connaissances liées aux pouvoirs de la psyché. Mais c’est une bataille qui n’a qu’un camp. Aucun tradithérapeute actuel ne détourne le malade de la médecine moderne. Si un traitement est en cours, il se contente en parallèle d’offrir des traitements efficaces contre des maux que la médecine moderne ne parvient parfois pas à résorber, et dont elle pourra constater l’amélioration ou la guérison. Dans ce débat entre la pensée des sages et celle des hommes de science, il semble judicieux d’apporter encore quelques autres sujets de réflexion rendus possibles par la médecine, et qui soulèvent des questions éthiques. L’éthique n’est ni une science, ni un savoir-faire, ni un ensemble de règles institutionnelles. Elle semble impossible à enseigner. Tout au plus pourrait-on résumer que l’éthique consiste à savoir ce qu’il est moralement possible et nécessaire de faire dans une société donnée. La médecine travaille sur des études de cas, tandis que les chamanes ont une perception infiniment plus large de l’humain. Les dimensions constitutives de l’Homme ne sont ainsi nullement comparables entre ces deux approches. Il s’ensuit que certaines règles professionnelles du médecin et du guérisseur sont opposées. Les nouvelles techniques de réanimation, de maintien artificiel de la vie, de procréation médicalement assistée, d’interruption volontaire de grossesse, de transplantation de tissus et d’organes, d’avortement, de psychopharmacologie, de psychochirurgie et de prédiction génétique, amènent beaucoup d’interrogations morales. Il n’est pas question de s’opposer à cette médecine moderne qui a sa raison d’être. Dans certains cas, elle semble néanmoins aller à l’encontre d’un ordre que les sages disent supérieur et qui, affirment-ils, fait toujours bien les choses. Pour en savoir plus : Chamanes – les traditions ancestrales dans le monde Pierre Laurent – Ed. Véga Article extrait du magazine Essentiel n°34 |
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