Par Pierre Laurent ![]() Intermédiaire entre l’humain et l’invisible, le chamane prend soin de son clan et de la Terre. Depuis la nuit des temps, il explore et utilise les phénomènes psychiques tels que la télépathie et la clairvoyance pour la guérison et entretient naturellement une relation lucide avec les mondes invisibles. En 2016, dans un lieu tenu secret, près de cent chamanes se sont réunis quatre jours et trois nuits autour d’un grand feu sacré pour célébrer leurs rites, raconter leurs parcours initiatiques et transmettre la mémoire de leurs ancêtres. Vous découvrirez dans cet article un petit aperçu de cette rencontre exceptionnelle entre chamanes contemporains, porteurs des sagesses ancestrales d’Asie, des Amériques, d’Afrique et du monde celte. Avant toute chose, intéressons-nous à l’étymologie du mot chamane. L’autobiographie d’Avvakoum Petrovic semble en avoir fait la première écriture en 1672. En langue toungouse – un groupe ethnolinguistique du nord de la Sibérie –, le chamane ou šaman (« danser, bondir, remuer ») désigne le moine qui possède la connaissance. Aujourd’hui, les ethnologues et les anthropologues propagent le terme de chamane, bien que de nombreuses communautés emploient leur mot à eux : ham (prononcer kam) à Touva, boo pour le chamane masculin et udgan pour la femme mongole, respectivement paksu et mudang en Corée, pajé aux Caraïbes et dans le bassin amazonien, piaye en Guyane, arendiouannens chez les Hurons, angakkut chez les Inuits, etc. En quelques décennies, la fonction du chamane sort des clans, devient sujet d’œuvres littéraires, d’opéras, de pensées philosophiques. Pour la lisibilité du texte, le terme générique de chamane est employé dans ce témoignage. Paranormal et surnaturel Les peuples premiers ont exploré et utilisé des manifestations psychiques telles que la télépathie, la clairvoyance, la guérison psychique, la précognition. Pour eux, ces phénomènes sont normaux, s’inscrivent dans la vie de tous les jours. Car l’Univers, sans réalité propre, ne produit que des phénomènes naturels et normaux, que nous percevons en fonction de nos aptitudes. Ces manifestations sont qualifiées d’occultes au XIIe siècle, de surnaturelles au XVIIe et de paranormales au XXe siècle. Les phénomènes paranormaux sont couramment étudiés par des scientifiques renommés à la fin du XIXe siècle. C’est la parapsychologie, l’étude pluridisciplinaire rationnelle de faits reliant l’environnement au psychisme, faits inexplicables selon les connaissances du moment. Ces recherches donnent lieu à des débats et des publications dans des journaux en vue qui évoquent des perceptions extrasensorielles ou des fonctions psi. Au XXe siècle, des hommes qui ne professent que leur opinion et leurs croyances propres ont qualifié ces recherches de pseudosciences et les ont rejetées de la science. Qui sont-ils pour rejeter le scénario bien rodé de rites pratiqués durant des millénaires ? Qui sont-ils pour oublier que le but de la science est de découvrir ce qui se cache derrière les faits ? D’où vient ce chaos dans leur tête qui admet les effets thérapeutiques d’un médicament placebo, mais refuse le pouvoir de la pensée en général ? La réalité psi existe, avec ou sans argument scientifique. Du reste, ceux qui en font l’expérience se transforment davantage qu’ils se seraient transformés en lisant un texte scientifique argumenté. Bienvenue dans la vraie vie, dans des dimensions inimaginables qui révèlent nos pouvoirs véritables, loin des frontières imposées par nos cinq sens physiques. Commencement Dans la mémoire collective, le chamane pourrait bien être une sorte de magicien à moitié nu, barbouillé de peintures, bardé de plumes, hypothétiquement doué pour jeter des sorts. En réalité, il est assez éloigné de cette appréciation excentrique ! Pour autant, évidemment, que l’on accepte qu’un Mexicain, qu’un Népalais ou qu’un Mongol vivant dans sa tradition ancestrale n’ait guère de raison de ressembler au quidam européen moyen. Les peuples en marge de la civilisation reconnaissent l’arrivée de l’enfant chamane par diverses dispositions, un événement particulier ou une marque physique. Un initié peut déceler les signes des qualités chamaniques inscrites dans le destin d’un enfant en bas âge. Il arrive qu’un jeune, intéressé par les cérémonies et les rites, qui les regarde et les écoute attentivement, révèle ses prédispositions. Les hommes ou femmes au destin de chamane ne naissent toutefois pas tous dans des tribus du bout du monde. Les méandres de la vie relient parfois l’Occidental et le chamane lointain prêt à transmettre. Le chemin chamanique Le chamane est intronisé s’il se voue à son destin d’homme choisi par les esprits et s’il revient victorieux d’initiations strictes. De temps en temps, l’élu – si l’on peut dire – refuse la fonction. Il se peut qu’il paie cette impudence envers les esprits par une série d’accidents ou de maladies, jusqu’au jour de l’acceptation. Viennent les initiations de l’instructeur. Déroutantes, tantôt légères, tantôt exténuantes, voire dangereuses chez certaines peuplades, elles contraignent le prétendant à désapprendre le recours au mental et à s’adapter au milieu. Tout est fait pour qu’il déserte croyances et certitudes, qu’il renonce à ses habitudes de perception et à ses préférences. Ainsi s’extrait-il de sa gangue animale ! Le prétendant ratisse ses ressources cachées lors de longues solitudes. Lors de jeûnes forcés. Lors de longues périodes, parfois plus d’un an, passées dans l’obscurité. Il subit des souffrances symboliques, mais pas seulement. Quoi de plus adapté que le péril pour abolir l’intellect et le jugement ? Le péril ouvre de force la porte de l’observation. Observation du milieu. Observation de ses blessures. Observation de ses peurs. Dans les sociétés archaïques où l’autosuffisance est aléatoire, chaque pensée, chaque intuition peut un jour devenir fondamentale. Voilà pourquoi elles sont cultivées. Dans la nature spacieuse, le prétendant approfondit ses connaissances pratiques sur le milieu, sur les plantes, les animaux, sur la géographie sacrée du monde visible et du monde invisible. Il goûte, mange et se relie au plus de plantes possible, pour apprendre la médecine végétale rapide et efficace. Seul durant des mois, parfois des années, il apprend à s’en remettre à son instinct, développe ses sens à l’extrême. L’odeur la plus faible, le souffle infime du vent, le bruissement ténu deviennent chargés de sens. Dans des célébrations intenses, l’aspirant noue des contacts avec les ancêtres, avec la création animale, végétale et minérale lors de voyages chamaniques, de quêtes de vision, de transes. Il perçoit l’ordre et le désordre d’une réalité cachée au commun des mortels. Il épanouit ses capacités intuitives, entre en meilleure connexion avec son milieu. Il devient « sensible », diagnostiqueur. Mais cela ne suffit pas. Il lui faut encore acquérir des pouvoirs s’il espère rétablir l’ordre dans la nature ou dans le corps des membres de son clan. Pour lui, un animal n’est pas qu’un animal. Il possède des pouvoirs. Le prétendant, en tissant des liens invisibles avec l’animal, capte diverses de ses ressources et les utilise à son profit, en lui offrant systématiquement quelque chose en retour. Cette règle est immuable : demander et donner. C’est l’échange égalitaire. Si l’homme est intègre, ces animaux deviendront ses alliés et ses gardiens invisibles. Il en est de même avec le règne végétal et le règne minéral. Ce n’est pas tout. Il lui appartient de remporter les faveurs des esprits des ancêtres. Dans la dualité matière-esprit, le second l’emporte largement chez les peuples premiers. Sa maîtrise, son pouvoir sur le milieu, sur l’humain, se dessine à chaque obstacle vaincu. Détruire le corps profane Jour après jour, étape par étape, le prétendant se guérit, gagne en force et en paix avec lui-même. Enfin, enfin ! L’étincelle divine jaillit ! Les initiations ont détruit son corps profane et lui ont offert un corps sacré. Il a les meilleures prédispositions pour débuter dans la discipline chamanique. À la fois herboriste, botaniste, animalier, masseur, rebouteux, radiesthésiste, spirite, guérisseur, magicien, exorciste, le sage qu’il est – qui apprendra encore sa vie durant – exercera après le décès de son mentor si le clan n’autorise qu’un seul chamane. En poste, ce gardien, cette gardienne des sagesses trace l’histoire de son clan, progresse et grandit en même temps. Plus il s’enrichit d’expériences, plus son comportement doit s’accorder avec ce qu’il représente. Que représente-t-il, justement ? Le gardien de sagesse éprouve souvent des difficultés à donner une définition de ce qu’il est. Son mental n’est pas le nôtre, qui cherche à poser des mots et à expliquer. Il agit, il équilibre, c’est suffisant. Le chamane, humain parmi les humains, se sait imparfait. Malgré tout, il veille chaque jour à rester authentique. Ses qualités, ses faiblesses nourrissent les espoirs de sa tribu. Il se surveille en permanence : l’ego spirituel peut l’inciter à quitter la magie blanche de son art opératoire pour exercer en magie noire contre les membres de son clan, pour séduire, pour ses intérêts propres… Il a une énorme force morale. Tout son être, toute sa concentration sont engagés dans ce rôle, parce qu’il veut faire honneur à celui qui l’a initié et aux ancêtres. S’il échoue à protéger sa tribu, à maintenir l’équilibre des forces visibles et invisibles, il risque le bannissement. Il risque même… la mort ! Guider autrui vers sa propre souveraineté Simple, humble, sans structure ni ordre hiérarchisé, le porteur de sagesse a pour règle absolue de guider autrui vers sa pleine et propre souveraineté, vers sa pleine et propre excellence, vers ses pleins pouvoirs. Centrée sur la spiritualité, l’activité du chamane tient aussi de l’organisation sociale. Il évite les dépréciations des individus, des communautés et de leur milieu. Le tradithérapeute anticipe et conjure le mal. Loin de l’approche occidentale scientifiquement sophistiquée qui consiste à répondre aux symptômes, lui s’intéresse aux causes profondes qui créent le symptôme chez son patient. Après l’avoir écouté décrire ses besoins spécifiques de santé, il consulte ses propres guides pour obtenir le diagnostic spirituel du mal-être ou de la maladie et connaître la méthode qui guérit. Il s’efforce de faire prendre conscience des causes du mal à son patient afin qu’il retrouve une totale autonomie. Cela dit, des anthropologues ont rapporté qu’un certain nombre de tribus aborigènes vivant en parfaite intégration avec leur milieu ne connaissent pour ainsi dire pas la maladie et les accidents y semblent exceptionnels. Cela rejoint l’observation de nombre de praticiens en médecine douce qui estiment que les troubles de la santé sont la conséquence d’un mode de vie inadapté. Les facteurs liés à l’environnement, à l’alimentation, aux excès ou aux pensées destructrices sont souvent cités. S’il sent sa médecine inefficace, il arrive que le chamane d’aujourd’hui propose de faire acheminer le malade vers la médecine occidentale. Loin de toute structure ancestrale : le néochamanisme À l’aube du nouveau millénaire, l’engouement pour les thérapies naturelles leur fait prendre une place de plus en plus grande dans les salons d’expositions, dans des revues et sur Internet. Pour le client, comment différencier la thérapie du bien-être dans cette armada ? En Suisse, où les thérapies naturelles et l’utilisation du terme thérapeute sont libres, le système laisse croire que n’importe qui devrait envisager de devenir thérapeute. En cherchant un peu, il est facile de s’inscrire à des cours où l’on a le sentiment de maîtriser une technique efficace en un rien de temps. Mais de théoricien à thérapeute, le chemin est parfois long, et nombre de ces praticiens mal formés finissent par devenir plus mal en point que leurs clients ! Dans la foulée, le terme chamane attire le chaland comme un aimant et fait vendre. Le nombre de cours et de formations présentés comme chamaniques enfle. Généralement pratiqué de manière éphémère, ce néochamanisme sert souvent des intérêts intellectuels et des accompagnements thérapeutiques dont l’efficacité n’est pas toujours démontrée. Après quelques week-ends de pratique occasionnelle, M. et Mme Tout-le-Monde se sentent à même d’être guérisseurs. Résultat : ces néo-chamanes, loin de toute structure historique et des gestes chamaniques authentiques, à peine sortis de l’usine ou du bureau, le soir, le week-end, reçoivent leur clientèle dans une pièce improvisée d’un appartement, sans la moindre sécurisation externe et avec un bagage pédagogique parfois précaire. Certes, le néochamanisme correspond à des besoins, comme les voies spirituelles du Nouvel Âge. Pour autant, il serait judicieux que le public ne soit pas dupe de ces pratiques développées hors de toute structure intègre où chacun met en avant ses propres concepts, sa propre réalité. Au gré des envies de chefs spirituels autoproclamés, ces méthodes pulsionnelles se transforment, disparaissent, laissant leurs adeptes dans des champs de ruines, à la merci de la première croyance de remplacement venue. En soi, c’est une bonne chose que les malades s’intéressent aux méthodes de soins traditionnels. Souhaitons-leur quand même de se montrer vigilants quant aux compétences du praticien qu’ils consultent. Souhaitons-leur également d’avoir la volonté de s’investir s’ils espèrent guérir et se maintenir en santé. Le néochamanisme sert aussi la pensée écologique. S’il pouvait au moins modifier les comportements énergivores et polluants, durablement et en profondeur, ce serait déjà ça. Le grand évènement de 2016 Pour la première fois, le Cercle organisait une manifestation en un lieu tenu secret et fermé au public ! Quatre jours et trois nuits durant, plus de cent chamanes et guérisseurs du monde entier ont associé la puissance de leurs rituels dans une ferveur collective destinée à soigner notre maison commune, notre Mère terre. D’autres acteurs ont offert leurs savoirs et leur professionnalisme pour accompagner l’événement sous forme de données scientifiques, d’articles, de films ou de photographies. Ni les bénévoles affairés à la mise en place du site, ni les assistants, ni les traducteurs, ni les organisateurs n’ont perçu de rémunération. Quant aux invités observateurs – filmeurs, photographes, auteurs, etc.–, ils ont payé leurs repas et l’hébergement. Ces derniers étaient là pour témoigner. Certains porteurs des traditions orales étaient réticents à cette idée. D’autres estimaient que des médias loyaux contribuaient à apaiser les critiques, à nourrir le dialogue et la compréhension mutuelle afin de faire reconnaître que les chamanes ont des solutions à divers maux actuels. C’était la raison de ma présence en ce lieu. La rencontre débute Premier temps fort de cette rencontre exceptionnelle, la cérémonie d’ouverture avec l’allumage du feu sacré. Sur le terrain, un cône de bois s’élève au centre de la salamandre de terre fraîchement réalisée. Le gardien du feu officie. Il répond au nom de Glonçia. Son nom initiatique de déo celte signifie « celui qui est béni des esprits ». C’est vers ce feu que se dirigeront nombre d’intentions des officiants et des participants. Sa préparation a respecté l’architecture traditionnelle en usage. Les délégations d’Amérique, d’Afrique, d’Asie et d’Europe, prennent place. Hommes et femmes ont revêtu de magnifiques tenues traditionnelles et arborent leurs objets rituels. Quelques-uns portent une peau d’animal. Des masques cachent des visages. Des tambours, grands ou petits, ronds, octogonaux, hexagonaux ou triangulaires se jouxtent. Souvent vu comme un peuple à part entière, le feu constitue un élément important dans la tradition chamanique. Sa capacité à consumer, à réduire en cendres, à purifier, offre une perspective de vie nouvelle. Il inspire à la fois crainte et respect. C’est au Chef coutumier du Cercle de sagesse de l’union des traditions ancestrales qu’il revient d’ouvrir la célébration. Patrick entame d’une voix puissante : « Porteurs de parole de la lignée de Soof Ta, faites savoir à nos frères et sœurs invités, délégations et représentants du monde, qu’ils sont les bienvenus dans notre cercle sacré. Faites savoir, porteurs de parole, que nous les accueillons avec le feu de notre cœur. Qu’ils viennent partager l’allumage de ce feu sacré, lien entre la Terre et le Ciel. Que cela soit dit. Awen ! » Le mot awen est utilisé dans la tradition celte pour marquer la connexion avec le divin, pour souligner des paroles fortes et justes. L’appel est souvent fait à voix haute par trois fois, auquel le groupe répond en écho. Un chamane fait résonner le son puissant de sa conque. Des amulettes et divers objets rituels laissent entendre leurs cliquetis, tandis que des gardiens de sagesse entament quelques mouvements qui préfigurent la danse qui ralliera toutes les forces. L’envie de commencer presse ! L’allumage du feu sacré Patrick : « Nous allons allumer notre feu sacré sur notre terre, nous, humbles gardiens de cette Terre mère, de notre terre celte. Nous vous invitons en toute fraternité à allumer le grand feu central. Nous allons porter un bâton de feu à chaque représentant de délégation, afin qu’il puisse allumer le feu selon ses us et coutumes. » Glonçia enchaîne : « J’invoque les esprits de l’énergie de l’Est. J’invoque l’élément eau, l’énergie de la naissance et de la renaissance. Puisse-t-elle nous accompagner durant ces quatre jours et ces trois nuits pour œuvrer ensemble pour la Terre. J’invoque, en les honorant, les esprits du Sud, la couleur flamboyante, l’esprit d’action, de force. Puissent-ils nous accompagner durant ces quatre jours et ces trois nuits de cérémonies pour porter assistance à la Terre. J’invoque les esprits et les énergies de l’Ouest, la sagesse ancestrale et la Terre. Puissent-ils nous accompagner en toute sagesse durant ces quatre jours et ces trois nuits, lors de nos cérémonies. J’invoque les esprits du Nord, peuple de l’air et des ancêtres. Puissent-ils nous accompagner durant ces quatre jours et ces trois nuits de cérémonies pour nous apporter la parole juste et la pensée adéquate qui servira notre Terre mère. Que chaque représentant de délégation vienne chercher une torche pour allumer le feu sacré. » Chaque gardien tient une torche. Quelques-uns s’agitent. Des sons, des cris s’élèvent. Puis j’assiste à un déferlement de sons. Qui martèle son tambour. Qui psalmodie des sonorités rudimentaires. Chacun accomplit son rite à la fois dans son individualité et à la fois dans cette œuvre collective improvisée. Aux discrets sons du Népal succèdent des rythmes africains vifs et mouvementés. Ce genre de rythmes qui se transmettent au pied, puis au corps entier. Chants individuels, chants de groupes, les résonances s’entremêlent, prennent leur espace quelques instants, puis laissent leur liberté à d’autres. Après quelques minutes sonores, le calme revient. De toutes parts, les torches enflammées sont introduites au cœur de l’empilement de bois dans des cris d’allégresse. C’est parti ! Jamais peut-être sur cette planète, un feu sacré n’aura été embrasé par un tel nombre de traditions. Au même moment, ailleurs sur le globe, d’autres représentants de délégations présentes et de délégations empêchées d’accomplir le voyage démarrent leurs propres célébrations en se joignant en conscience. La tradition tezkatlipoka L’occasion m’est donnée d’entendre deux représentants de la tradition tezkatlipoka – littéralement miroir noir fumant – qui sont Tetzkatekuhtli Kwauhtlinxan et Kexolli Kwauhtlinxan, deux cousins habillés de noir comme la nuit. Leur peuple est devenu invisible depuis la colonisation espagnole de l’Amérique commencée par Christophe Colomb et Hernán Cortés. Presque nul ne les a vus avant 1990. Leur tradition s’efforce de faire se déplacer quatre énergies d’une manière favorable en vue d’atteindre l’équilibre suprême : le nawi ollin teotl. L’observation, l’expérimentation et la pratique de ce qui est perçu servent à obtenir l’harmonie dans l’Univers d’où l’homme vient. Et le respect crée la liaison totale. Les êtres humains comptent quatre niveaux fondamentaux, explique Tetzkatekuhtli. Le corps physique (nakatl), l’esprit (matik), l’émotionnel (pampa) et l’énergie (tonalli). Équilibrés, ils permettent la meilleure manifestation de l’âme (newatl). Quatre fondamentaux fixent les aspects de la vie : indispensable, nécessaire, souhaitable et excellent. Mélangés, ils donnent le centre de la nawi ollin : fait. Par exemple, la respiration est indispensable. Le repos est nécessaire. La force qui génère les événements est souhaitable. La transformation volontaire de la conscience est l’excellence. Tetzkatekuhtli Kwauhtlinxan signifie « l’homme du miroir du nid des aigles ». Il commente : « Avec la permission de la Mère terre, du Père soleil, des éléments, de l’air, de l’eau, des gardiens de cette Terre et de tous nos ancêtres, nous les gens de la tradition tezkatlipoka continuons nos coutumes vieilles de plus de 40 000 ans. Nous sommes passés à travers le peuple toltèque. Nous sommes partis du peuple toltèque. Et nous sommes passés à travers le peuple olmèque. Nous faisons partie du peuple olmèque. Nous avons traversé le peuple de Teotihuacan. Nous faisons partie du peuple de Teotihuacan. Maintenant, nous faisons partie du peuple Mexhika. La tradition des Tezkatlipoka est l’une des quatre grandes lignes de connaissance qui existait dans notre antiquité. Quetzalcóatl est la lumière. Tezkatlipoka est sa contrepartie, l’obscurité. Parce qu’il n’y a pas de jour s’il n’y a pas de nuit. C’est notre travail de progresser dans la connaissance de notre part obscure, d’être conscients de nous-mêmes. Notre travail est sur l’intérieur. Et nous avons à travailler cette part intérieure pour rassembler le tissage de la natte que nous sommes. Ensemble, nous tissons tous cette natte avec nos cœurs, avec nos présences, avec nos ancêtres. Nous sommes des guerriers braves et forts qui mettons la paix par notre seule présence. Science, spiritualité et éthique Les scientifiques qui servent notre médecine moderne acceptent presque unanimement la souffrance animale, notamment celle qui découle d’expériences souvent insoutenables en laboratoire. Comment légitimer cette cruauté envers des animaux autrement que par une grande violence intérieure ? D’où vient cette violence ? Avant tout, de l’insensibilité à soi-même. Cette insensibilité se propage à l’autre, et finalement au monde. Comment espérer qu’un quidam incapable de s’aimer dispose d’un niveau de conscience assez élevé pour saisir la portée du psychisme humain ? Certes, des traitements de cette médecine moderne sont utiles et aident à surmonter une impasse ou une période tourmentée. Reconnaissons que, dans le territoire de la psyché, nous autres Occidentaux avons discrédité notre héritage ancestral. Nous en payons maintenant le prix par des vies brisées. Pire, le désir de domination des industriels voudrait anéantir tous les systèmes thérapeutiques ancestraux et les connaissances liées aux pouvoirs de la psyché. Mais c’est une bataille qui n’a qu’un camp. Aucun tradithérapeute actuel ne détourne le malade de la médecine moderne. Si un traitement est en cours, il se contente en parallèle d’offrir des traitements efficaces contre des maux que la médecine moderne ne parvient parfois pas à résorber, et dont elle pourra constater l’amélioration ou la guérison. Dans ce débat entre la pensée des sages et celle des hommes de science, il semble judicieux d’apporter encore quelques autres sujets de réflexion rendus possibles par la médecine, et qui soulèvent des questions éthiques. L’éthique n’est ni une science, ni un savoir-faire, ni un ensemble de règles institutionnelles. Elle semble impossible à enseigner. Tout au plus pourrait-on résumer que l’éthique consiste à savoir ce qu’il est moralement possible et nécessaire de faire dans une société donnée. La médecine travaille sur des études de cas, tandis que les chamanes ont une perception infiniment plus large de l’humain. Les dimensions constitutives de l’Homme ne sont ainsi nullement comparables entre ces deux approches. Il s’ensuit que certaines règles professionnelles du médecin et du guérisseur sont opposées. Les nouvelles techniques de réanimation, de maintien artificiel de la vie, de procréation médicalement assistée, d’interruption volontaire de grossesse, de transplantation de tissus et d’organes, d’avortement, de psychopharmacologie, de psychochirurgie et de prédiction génétique, amènent beaucoup d’interrogations morales. Il n’est pas question de s’opposer à cette médecine moderne qui a sa raison d’être. Dans certains cas, elle semble néanmoins aller à l’encontre d’un ordre que les sages disent supérieur et qui, affirment-ils, fait toujours bien les choses. Pour en savoir plus : Chamanes – les traditions ancestrales dans le monde Pierre Laurent – Ed. Véga Article extrait du magazine Essentiel n°34
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